La photo de la couverture de l’album résume
tout. Angus Young, l’innocence cousue sur son costume d’écolier,
est là, empalé par la lame dépravée du Rock&Roll.
Derrière lui, Bon Scott, le chanteur tatoué s’en vient accueillir
le minuscule guitariste dans les tréfonds de l’obscurité,
comme si, tout ceci, fort d’une expérience toute à fait
personnelle, n’était pas finalement une mauvaise chose !
En un sens, le son AC/DC lui-même est le produit issu de la pureté
et de la perversité, et « If you want blood (you’ve got it)
» vous balance en plein milieu de ce que peut être l’union
du public et d’un groupe lors d’un concert de rock ! L’album
en lui-même regorge de tout un tas de larcins commis par des canailles
et des enfants à problèmes, mais, également, par des rockers
très mauvais garçons cotoyant des groupies infestées de
tout un tas de saloperies vénales à souhaits. Larcins scandés
pour la plupart du temps au travers de 3 accords basiques, joués avec
un son très lourd et une fierté accompagnée d’une
désinvolture joyeuse. Certes, le sang coulant de l’estomac d’Angus
sur la pochette de l’album est sans aucun doute un trucage, mais il n’empêche
qu’il traduit bien ce qu’est un concert d’AC/DC : du sang
et des tripes, voilà ce qui est déversé chaque soir sur
scène par Angus et le reste du groupe (son frère ainé Malcolm,
le bassiste Cliff Williams, le batteur Phil Rudd et l’irrépressible
chanteur Bon Scott).
Il ne fut pas du tout surprenant lorsqu’en 1978, la maison de disque américaine
d’AC/DC leur demanda d’enregistrer un album live. L’idée
d’un tel concept avait déjà fait du chemin dans l’histoire
du rock, qui plus est, le quintet était déjà très
populaire chez lui, en Australie, et progressivement, ils commencèrent
à s’installer et s’affirmer en Europe et aux Etats-Unis,
là où leur boogie ravageur, issu d’album comme High Voltage,
Dirty Deeds Done Dirt Cheap ou Let There Be Rock, résonnait tant dans
les arènes du rock qu’au beau milieu du mouvement Punk. Un album
live, plus particulièrement à la fin des années 1970, voilà
exactement ce qu’il fallait au groupe pour avoir une carte de visite exprimant
réellement ce qu’était le groupe sur scène.
La scène, c’était aussi ce qu’avait pratiqué
le groupe de façon non-stop durant les 2 années précédentes,
s’attaquant dans un premier temps à l’Europe, puis au continent
américain en délivrant des shows dotés d’une rare
intensité. Dans de petites salles humides, des foules se rassemblèrent,
furieuses, converties à une seule et même cause. Elles saluèrent
Angus perché là haut sur les épaules robustes de Bon, comme
une divinité. L’impact d’AC/DC sur le public était
tel que lorsque ceux-ci ouvraient pour un groupe important, dans de grandes
salles, il leur arrivait bien souvent de lui voler la vedette. A la fin de ces
2 années de tournée incessantes, le groupe avait donné
pas moins de 200 concerts des 2 côtés de l’Atlantique.
L’idée principale d’If you want blood (you’ve got it)
était de recréer l’ambiance euphorique, l’ambiance
particulière d’un concert d’AC/DC, et ce, dans chaque chambre
de chaque ville tout autour du monde.
Aujourd’hui, quelques 25 ans plus tard après la parution originelle
de cet album, vous êtes toujours propulsés directement au beau
milieu du concert, respirant l’ambiance électrique du show, avec
sa dose de sueur, pouvant sentir le sol trembler sous vos pieds lorsque la Gibson
SG d’Angus postillonne les toutes premières mesures de «
Riff Raff » devant une foule dont les battements de mains à l’unisson
montent en puissance. Les Boys sont là, en pleine ébullition,
sous le décompte de la pédale charleston de Phil, ils sont prêts
à déverser leur boogie furieux issu d’un style des années
50. A la fin du premier refrain, la voix de Bon est déjà puissante
d’hystérie.. mais AC/DC ne vient tout juste que de commencer !
« Hell ain’t a bad place to be », « Bad Boy Boogie »
et « Problem Child » sont délivrés avec une rage si
sévère que ces versions semblent bien plus étriquées
que celles présentes sur les albums originaux. L’un des points
chauds du concert est le blues langoureux qu’est « The Jack »,
dont la grille d’accords classique en I-IV-V permet à Angus d’exprimer
son talent non seulement au travers de ses influences Blues, mais également
au travers de tout un arsenal de plans pentatoniques dotés de fluidité
incroyable. Cette interprétation live de Bon, tel un hommage aux maladies
vénériennes et aux femmes qui les ont transmises tout au long
des années s’en vient éclipser la version originale de ce
morceau, et ce, de par l’intégration de paroles subtiles telles
que « I made her cry / I made her scream / When I curled her cream ».
Au travers de ce morceau, les guitares résonnent de façon minimaliste
sous la coupelle du battement de Phil et de la ligne de basse de Cliff. Le public
accompagnant le tout en scandant le refrain « She’s got the Jack
». Puis, Angus offrant un nouveau chorus, alors que Bon charrie le public
en précisant « Ah, but she sure was good ».
Le public d’AC/DC a toujours fait partie du spectacle, mais celui de ce
soir là, sans doute plus que jamais, a réussi à effacer
la ligne qu’il peut y avoir entre l’artiste et le spectateur. Lorsque
le groupe balance le riff de « Whole lotta Rosie », le public entonne
un chant ravageur, scandant « Angus !, Angus ! ». Les premières
mesures du morceau sont scandés en rythme par en rythme par la foule,
donnant forme un jeu joyeux de « question / réponse ». Tel
un testament légué par le public de l’instant, le public
d’If you want Blood (You’ve got it), l’interactivité
groupe/ spectateur est depuis ce jour devenu un rite sur « Whole lotta
Rosie ». Après les balancements nerveux et les tempos sans faille
de « Rock&Roll Damnation » et « High Voltage »,
le concert est à son paroxysme lors des 8 minutes et quelques de la réinterprétation
de Bon sur « Let There Be Rock ». La conclusion revient au classique
et bouillonnant « Rocker », sorti tout droit de l’album «
Dirty Deeds Done Dirt Cheap » (1)
If You Want Blood (You’ve got it) capture à merveille un AC/DC
en pleine transition. Ce n’est plus le groupe qui écumait les bars
et les clubs en Australie, et ce n’est pas encore la grosse machine de
guerre puissante que l’ont connaît. Le charmant provincialisme est
certes toujours apparent (2) mais en rien il ne vient parasiter la puissance
d’un groupe dominant à merveille son sujet.
Qui plus est, cet album permettra à AC/DC de faire son premier pas pour
accéder au rang de star. L’année suivante, plutôt
que de retourner comme toujours aux Alberts Studios de Sydney pour travailler
sous l’œil vigilant du duo Vanda & Young, le groupe s’installa
à Londres afin de travailler sous la houlette du producteur renommé
qu’est Robert John « Mutt » Lange afin d’enregistrer
l’album qui leur permettra de percer réellement aux Etats Unis
; « Highway To Hell ». Ce sera le dernier opus enregistré
avec Bon Scott, celui-ci disparaissant le 19 Février 1980, trouvant la
mort sur la banquette arrière d’une voiture, étouffé
par ses propres vomissures, et ce, après une nuit bien arrosée.
L’album hommage du groupe « Back in Black », enregistré
avec un nouveau chanteur du nom de Brian Johnson, se vendra à plus de
19 millions d’exemplaires rien qu’aux Etats-Unis.
Mais tout ceci appartient au futur. En ce concert d’un soir de printemps
1978, tout individu présent à ce show n’aurait pu prédire
cette tragédie qui se pointait à l’horizon. If You Want
Blood (You’ve Got It) est le son d’AC/DC! Le son d’AC/DC et
de ses fans vivant l’instant présent, dévoilant la puissance
et la gloire du Rock&Roll à haute tension.
(1) Il est bien sûr ici fait référence à
l’édition européenne de l’album « Dirty Deeds
Done Dirt Cheap ». « Rocker » apparaissant originellement
sur l’album « TNT ».
(2) En somme, le terme de « provincial » se doit d’être
perçu non pas tant dans sa dimension populaire visant à critiquer
les artistes extérieurs aux grandes villes, mais surtout dans une dimension
d’innocence pas si innocente que ça !