Aviez-vous un choix étendu en matière d’inédits ?
Angus Young : On avait pas mal d’idées ou de bouts de chansons
en vrac, mais pas tant de morceaux finis. Souvent, pour un album, on a 30 ou
40 Bonnes idées de chansons et on en retient qu’une dizaine. Nous
avons eu pas mal de recherches à faire. Il fallait vérifier l’état
des supports. Car certains morceaux étaient biens, mais les bandes étaient
moisies. Il a fallut en retraiter certaines, ce qui change un peu le son, mais
il faut parfois lâcher un peu de lest si le résultat final est
à la hauteur. Cela faisait des années que les fans réclamaient
des inédits, particulièrement depuis la mort de Bon. Nous espérons
que cela les comblera. A moins qu’ils ne se disent : « Ils
nous ont donné quelques friandises, pourrait-on en avoir davantage (rires) ? ».
Avez-vous retrouvé les chansons dont vous ne vous rappeliez
même pas l’existence ?
Je savais qu’elles existaient, mais parfois il faut un détail
qui provoque un déclic dans votre mémoire. On ne se souvenait
pas toujours d’un titre précis mais on se rappelait avoir enregistré
dans tel ou tel studio. Il a fallut se livrer à un travail de détective,
et il y a des bandes qui ont été tout Bonnement mal archivées,
voire disparues.
Pourriez-vous décortiquer les inédits en studio, en commençant
par « Dirty Eyes » ? D’où est-ce que
ça sort ?
Bon avait ce titre. On était en Angleterre à l’époque,
aux alentours de 1976, Malcolm, Bon et moi, on s’amusait, je crois que
mon frère George était là aussi. On a fait une version
en studio, avec d’autres démos brutes, mais on a plus finalisé
celle-ci. C’était le début de ce qui allait devenir « Whole
Lotta Rosie ». On a gardé ce qu’on préférait
dans la chanson.
Les riffs sont effectivement similaires et quelque peu réminiscents
du « No money down » de Chuck Berry …
C’est bien possible. Pour Malcolm, Bon et moi, Chuck Berry
est comme un père. Bon disait toujours : « En matière
de rock’n’roll, il faut en revenir à Chuck Berry, Little
Richard, et aux autres pionniers, le reste compte pour du beurre. »
Lui et moi, on jouait toujours du Chuck Berry et du Little Richard, et il jugait
tous les chanteurs par comparaison avec ce dernier. Une chanson comme « Jenny,
Jenny, Jenny » a été bouclée en une prise, avec
ce type qui hurlait comme personne, à toute blinde. Je crois que le monde
moderne ne se rend pas compte de ce qu’il a perdu, ce ne serait plus possible
aujourd’hui. Quant à « No particular place to go « ,
il y a une vraie magie : le son est superbe, les paroles sont malignes,
tu entends l’interaction entre les musiciens …
« Touch too much » ?
Ce n’est pas une maquette mais une version définitive
qu’on n’avait pas retenue. Je crois qu’on l’a enregistrée
en 1977, pour « Powerage ».
Le refrain est assez différent de la version « Highway
To Hell », plus linéaire, sans le côté hymne
à reprendre en chœur.
Oui, la chanson n’était pas mauvaise, c’est d’ailleurs
pour cela qu’on y est revenu, mais on sentait bien qu’il lui manquait
un petit quelque chose. Cela nous arrive tout le temps. Un jour, on a eu une
nouvelle idée et on se rend compte qu’elle complètera bien
un morceau laissé en plan. Les cartes tombent en place toutes seules,
sans qu’on ait fait d’effort à fournir, et on sait alors
que c’est Bon.
« If you want blood » ?
Ca fait partie d’une poignée d’idées qu’on avait
avant de se mettre à « Highway To Hell » et de
travailler avec Mutt LANGE. La version est assez différente et nous avons
donc pensé qu’elle pouvait intéresser
les fans.
« Get it up » ?
C’est un autre de ces morceaux qu’on avait enregistré
en Australie avant « Highway To Hell » puis on est parti
pour Miami, en Floride, pour répéter et écrire et ça
a pas mal bougé en cours de route.
« Back seat confidential » ?
C’est un titre qui a attiré l’attention de mon
frère George. On était en Australie, en train d’enregistrer,
« DDDDC », quand il a jeté un coup d’œil
sur ce carnet dans lequel Bon notait ses idées de texte. Dès fois,
Bon notait juste quelques lignes, où il pouvait y avoir toute une histoire,
sans que le titre soit compréhensible, genre « Tel Quel ».
George a vu ses lignes et c’est dit : « C’est une
Bonne idée de chanson ». C’est parti de là. Plus
tard, la chanson est devenue : « Beating Around The Bush ».
Bon était un grand fan de rock’n’roll et si on trouvait quelque
chose d’évocateur des années 50, ça lui plaisait.
Cela fait faire réfléchir ceux qui vont considèrent
comme un groupe assez primaire et monolithique de découvrir que vos chansons
évoluent et mûrissent.
Oui. Parfois, il y a une chanson qu’on joue, qui peut être
un blues ou un morceau lent. Et un jour, des années plus tard, on peut
avoir un étincelle particulière dans son jeu et on se dit alors :
« Je peux peut-être essayer ça ». Depuis
nos débuts, nous nous décarcassons pour composer des chansons
qui tiennent le coup. La musique en général, le rock’n’roll
en particulier. C’est autre chose que de trouver un gimmick et de l’exploiter
jusqu’à plus soif.
Bon était vaiment un Bon parolier, dans la pure tradition du
blues, avec des tas de double sens, beaucoup d’humour.
Il était espiègle. Quand il te regardait avec ce sourire,
tu savais qu’il avait une idée derrière la tête. Lorsqu’il
écrivait, il venait nous trouver, Malcolm ou moi, pour nous demander :
« Alors tu trouves ça bien ? ». On regardait
et on lui répondait : « Bon, ce bout-là est super ».
Il repartait peaufiner son texte. Bien qu’il ait souvent plaisanté
en racontant : « Mes textes ! Je trouve ça sur des
murs de chiottes », il en était finalement très fier.
Il avait commençé comme batteur, donc, il prenait garde pour que
les mots tombent juste rythmiquement. Il remanait ses textes jusqu’à
ce qu’il sente qu’il ne pouvait vraiment plus les améliorer
et s’il était coincé, il nous demandait un coup de main.
Malcolm, George et moi nous concertions. Mais une fois qu’il était
sûr de son coup, il disparaissait, et, deux heures plus tard, il se repointait
avec un texte ciselé aux petits oignons, presque une œuvre d’art.
Il était vraiment doué.
Est-ce une légende ou a-t-il vraiment commençé
comme chauffeur du groupe ?
Avec Malcolm on était allés à Adélaïde,
dans le Sud de l’Australie, où il habitait à l’époque,
et un ami lui avait demandé : « Ces types sont tout jeunes,
tu veux les piloter ? » Bon avait entendu notre disque à
la radio, il savait aussi qui on était. Il a répondu : « Oui
pourquoi pas ? », et il est resté avec nous à
partir de ce moment. En fait, il voulait devenir notre batteur. Il nous a dit :
« Venez avec moi, j’ai un petit studio, je veux jouer de la
batterie. » Malcolm lui a répliqué : « Tu
chantes super bien, on a besoin d’un vrai chanteur de rock’n’roll ».
Et il a répondu : « Euh, il faut que j’y réfléchisse ».
On est partis une semaine pour faire des concerts dans les bars et les clubs
et quand on est revenus, il nous a dit : « OK ça marche ».
Et il a adoré, car, pour la première fois, il a vraiment pu être
lui-même. Jusqu’à là, il avait dû se fondre
dans des rôles qu’on lui assignait. Et en plus, il était
bien meilleur chanteur que conducteur (rires).
Est-ce que son intégration a été facile à
vivre pour lui et pour vous, sachant qu’il était un peu plus vieux,
qu’il avait plus d’expériences ?
Tout de suite, on s’est bien marrés avec lui. Je crois
que Malcolm et moi étions les deux personnes avec qui il parvenait complètement
à s’entendre. On pouvait être assez déchaînés,
nous aussi (rires). On y a jamais vraiment réfléchi. Il était
éternellement jeune à mes yeux et je crois que ça l’éclatait.
Il y avait des grincheux pour dire : « Regardez-moi ce type !
Il se prend encore pour un gamin, ou quoi ? » Et lui :
« Ouais super ! ».
Avez-vous eu le sentiment de le voir changer à travers les années ?
Bon était Bon un point c’est tout. Il disait :
« Euh, je vais sortir avec une fille ce soir » et on le
voyait s’asseoir dans un coin, tout tranquille. Je me disais : « Ce
n’est pas lui ça ». Mais vers la fin de la soirée,
les tables volaient dans tous les coins,et là je le reconnaissais. De
temps en temps, il essayait de se calmer un peu mais ça ne durait pas.
Il ne faisait jamais rien de façon calculée, pour l’effet
que ça pouvait produire. S’il essayait un jeu de scène et
qu’il ne se sentait pas à l’aise, il laissait tomber tout
de suite.
Est-ce
vraiment Bon qui joue de la cornemuse sur « It’s a long
way to the top » ?
Oui, il avait dit à George qu’il savait en jouer et
George lui a répondu : « C’est ce qu’on va
voir (rires) ». Il jouait de la caisse claire quand il était
petit, dans un highland band et il avait appris à se débrouiller
à la cornemuse avec un des musiciens de l’orchestre. Mais George
a prévenu : « Attention, vas falloir que ça sonne
rock’n’roll ou ça ne vas pas le faire ». Si tu
écoutes bien, c’est de la cornemuse mais utilisée comme
saxophone, de la cornemuse qui swingue. Et ça sonne d’enfer.
Après la mort de Bon avez-vous pensé à tirer l’échelle ?
Oui, mais Malcolm a réagi tout de suite en me disant :
« Ecoute on a des chansons, on était en train de travailler
dessus, et on a va continuer et on verra bien ». Et c’est ce
qu’on a fait. Quand les morceaux ont été finis, il a fallu
un chanteur. C’était notre album pour Bon et on y tenait, et si
rien ne devait se passer ensuite, et bien on verrait, tant pis. En plus, on
était sûrs qu’il aurait trouvé ça bien, de
ne pas jeter l’éponge, c’était un battant. Quand il
est mort, il était sur le point d’écrire les textes sur
les musiques qu’on avait, Malcolm et moi. La dernière chose qu’on
ait faite cette semaine-là, c’est de jammer pour le plaisir, Bon
à la batterie. Il est assez ironique que, la première fois où
on ait joués ensemble, il ait été à la batterie
et que, quand il nous a quitté, il était encore assis derrière
le kit, c’est même assez troublant. Je m’en rends compte maintenant,
comme si la boucle avait été bouclée.
Vous avait-il vraiment parlé de Brian Johnson ?
Oui, Bon m’avait raconté ce concert qu’il avait
fait avec Geordie et, plus tard, Brian Johnson m’a également parlé
de ce show avec l’ancien groupe de Bon (Fraternity). On était assez
désorientés et je me suis dit : « On va rechercher
ce type car si Bon aimait ce qu’il faisait, c’est qu’il doit
vraiment avoir quelque chose ». Ce n’est pas si fréquent
qu’un chanteur fasse des compliments sur un autre vocaliste. Brian adorait
Little Richard. C’est d’ailleurs pendant qu’on écoutait
des disques du Révérend Penniman que Bon m’en a parlé.
C’est resté gravé dans ma tête et aussi on a eu l’idée
d’aller chercher Jonna.