Bon a certainement payé ce train de vie puisque à 34 ans (né
le 09 juillet 1946 à Kirriemuir, Ecosse) il était beaucoup plus
usé que ses copains. Les circonstances malheureuses se sont chargées
du reste. Mais il ne faut pas croire que ce mec n'était qu'un ignoble
soiffard ou saoulard, raide bourré du soir au matin. S'il lui arrivait
de prendre un double scotch en guise de petit déjeuner, il gardait, comme
bien des alcoolos, une réelle lucidité dans les circonstances
les plus avinées. Au lendemain d'un concert sanglant, en plein week-end
anglais, je l'avais retrouvé à la sortie de l'hôtel se préparant
pour une ballade dans la nature. Très élégant dans un costume
de laine, il m'avait raconté son besoin de renouer le plus souvent possible
avec cette campagne où il était né et où il aimait
aller à la pêche.
Conduite typiquement britannique : je l'avais quitté au petit matin raide
saoul dans un pub entrain de brailler de vieilles chansons avec des potes de
rencontre, et là, strict gentleman, il pratiquait le week-end anglais
tel n'importe quel supporter d'une équipe de foot. S'il n'avait pas eu
cette sale gueule amochée par l'alcool et le reste, jamais on aurait
reconnu en lui la bête de scène qui quelques heures plus tôt,
et quelques heures plus tard se défonçait avec le plus saignant
gang de hard du moment.
Même double personnalité dans la conversation. Autant Bon pouvait
ressembler à n'importe quel bringueur après les concerts, autant
il faisait preuve de sérieux et de pondération dans les interviews.
Son expérience ne faisait une sorte de père pour tous les autres
membres du groupe ; je suis certain qu'il leur avait évité bien
des erreurs. Bon n'avait aucune illusion sur le métal lourd d'AC/DC mais
il savait trouver les trucs qui éviteraient au groupe de sombrer dans
la grisaille de ses concurrents. Il refusait par exemple tous les artifices
de scène, préférant de loin trouver le petit grain de folie
différenciant AC/DC. Il savait avoir élaboré un plan qui
plaisait à un certain moment mais qu'il ne pourrait pas utiliser encore
longtemps. La devise d'AC/DC était de tourner un maximum durant ces années
d'illusion pour empocher la monnaie et se retirer à la façon du
Grand Funk.
Après, Bon pensait pouvoir aller tranquillement à la pêche,
laissant ses potes trouver une nouvelle formule. Cette vision m'avait semblé
relativement saine tant les vieilles stars du hard sont aujourd'hui pathétiques
dans leur entêtement à servir de vieux repas froids.
Malheureusement ces projets ne verront pas le jour. Le rideau est tombé.
Nous ne verrons plus le grand gars tatoué qui se cambrait fièrement
sur le devant de la scène, secouant en arrière sa crinière
ondulée ou portant sur ses épaules Angus ruisselant de sueur.
Nous n'entendrons plus cette voix rauque à l'accent rocailleux et aux
expressions imagées. Triste. Très triste. Car Bon était,
sous des aspects de tête cramée, un mec attachant possédant
un bon jeu de scène et une voix qui, sans atteindre des sommets de finesse,
n'en était pas moins remarquablement bien adaptée au rock d'AC/DC.
Il me laisse le souvenir d'un good boy, pas fier pour deux ronds, pas prétentieux,
mais sérieux pour ce qu'il considérait comme son boulot. Dans
les pires états, il voulait donner au public le fun qu'il était
en droit d'attendre. Pour AC/DC, le coup est dur car Bon y jouait, hors de scène,
le rôle d'un chaperon. Plus que la perte d'un chanteur, c'est un grand
frère que viennent de perdre Young & Co. Ce sera difficile de continuer
comme si de rien n'était. Attendons
(M.E.)