Didier et Franck : Deux Nicois chanceux
Voici deux témoignages de Didier et de Franck, deux Niçois chanceux qui ont pu voir AC/DC en concert en 1979 et 1981 lors des passages des Boys à Nice.
En l'an de grâce 1979, nous, jeunes provinciaux de 15 ou 16 balais, ne pouvions savoir que nous allions assister à ce qui restera à jamais gravé dans nos mémoires comme une des plus belles leçons de rock n' roll. Enfin, depuis la parution (en Août 79) de leur dernier bijou intitulé « Highway to hell », les 5 kangourous n'avaient plus quittés notre platine. Nous nous attendions donc à quelque chose d'assez compact, mais nous étions loin de nous imaginer la décharge que nous allions prendre...
A cette époque, la « AC/DC mania » était à son comble, partout des patchs à l'effigie du groupe fleurissaient sur les sacs à dos des étudiants, sur les blousons en jean et tout autre support possible et imaginable.
Malgré la froidure extérieure (relative, n'oublions pas, l'action se passe à Nice !), le Théâtre de Verdure est chauffé à blanc dès 20 heures. Cela hurle à tout rompre à chaque fois qu'un morceau se termine sur la monstrueuse sono chargée de faire patienter tout ce petit monde. Comme si les kids ne pouvaient se retenir de manifester leur joie d'avoir obtenu une place de haute lutte.
Puis, guest star de luxe, voilà ce bon vieux Rob Halford tout de cuir « mouleburné », casquette Cruising vissée sur la tête et fouet bien en main, qui déboule sur la scène sur les accords de leur intro de l'époque : EXITER... JUDAS PRIEST comme mise en bouche, humm cela sent la déferlante de watts. Trois quart d'heures plus tard, il faut bien reconnaître que ces gaillards ne font pas dans la dentelle. Le public ne s'y trompe d'ailleurs pas car ils sont bien ovationnés... chose assez rare pour une première partie.
Entracte, on se dit que la soirée ne débute pas si mal et on peut même se demander si les compères, en bon judas, ne vont pas tromper tout le monde en volant le show à nos australiens préférés. Quelle hérésie !
A peine les lumières éteintes, la grand-messe du Rock n' roll peut débuter : une épaisse fumée envahit la scène sur une intro gigantesque de basse signée Cliff Williams suivi des accords caractéristiques de guitare de « Live Wire » bientôt rejoint par le martèlement du meilleur batteur binaire de l'époque (Phil Rudd). Puis déboulant à toute vitesse les deux derniers compères, Angus et Bon, figures de proue d'un vaisseau lancé à 6000 Watts à l'heure sur l'autoroute de l'enfer... Et là on comprend que l'on peut jeter toutes nos certitudes au panier, ces foutus australiens vont nous asséner pendant une heure et demie, une leçon de rock n' roll qu'aucun groupe alors considéré comme des dinosaures n'avaient pu imaginer. Aux oubliettes les interminables soli des sieurs Page, Blackmore, Bonham et autres Paice, tout le monde avait oublié que le rock n' roll, c'est trois accords, un bon rythme binaire, des amplis calés à 10 et surtout une bonne dose de sueur... On avait durant toute cette décennie (seventies), complètement oublié ce que Chuck Berry nous avait inculqué vingt ans auparavant ! AC/DC s'est heureusement chargé de tout remettre en place avec cette étincelle en plus qui fait la différence. Le jeu de scène d'Angus n'est-il d'ailleurs pas un vibrant hommage à la "duck walk" de Papy Chuck ?
Une heure et demie durant, ce fut une déferlante monumentale, normal d'ailleurs pour des gars venus du pays du surf. Aucun temps mort, juste du rock n' roll électrifié jusqu'à la moelle, une messe en l'honneur du rock, avec des apôtres nommés Malcolm, Phil, Cliff, Angus et Bon...
Phil Rudd, Malcolm Young et Cliff Williams : il s'agit là du monstre à trois tête détenant le secret ultime de la recette rock n' rollienne. En effet, quel groupe peut se vanter d'avoir eu une telle section rythmique ? Phil Rudd, véritable locomotive lancée à toute allure, privilégiant le rythme aux breaks, poussant dans leurs derniers retranchements un Cliff Williams toujours juste et puissant (on a jamais vu un bon boogie sans une grosse ligne de basse), et un Malcolm Young impérial dans son rôle de rampe de lancement pour son frère. Un cas à part ce Malcolm, un paradoxe à lui tout seul, véritable pile électrique tout en retenue, bouillant mais jamais en ébullition et pourtant si influant dans toutes les compos du groupe...
Angus Young, increvable du début à la fin du set, parcourant la scène dans un nuage de sueur, dodelinant de la tête frénétiquement, le tout en assenant des soli tranchant comme une lame... La prestation d'Angus fut tout bonnement phénoménale. On a peine à croire que ce petit bonhomme puisse enchaîner soir après soir la même prestation. Et pourtant...
Bon Scott, jean moulé, torse nu sous un blouson « manche coupé » en jean, véritable complice d'Angus, souriant à chacune des frasques de son guitariste, tellement simple et proche de son public, semblait si loin de l'image que l'on se faisait de lui. Une rock star, une vraie, illuminant la scène de sa présence. Un paradoxe lui aussi, qui dégageait une force colossale mais cachée sous une timidité non feinte. Comme si l’agitation d'Angus le paralysait physiquement. On se rendait alors compte qu'il était simplement humain...Alors il compensait par sa prestation vocale, puissante et monumentale, véritable marque de fabrique d'un groupe intemporel...
Nous sommes sortis du concert, crevés, sourds, mais tellement heureux. Nous avions le sentiment d'avoir assisté à quelque chose de rare : avoir vu s'écrire une des plus belles pages du Rock n' Roll. Un de ces souvenirs qui vous colle à la peau... Une semaine durant, un seul refrain revenait à chacune de nos pensées. La dernière chanson jouée en rappel par ces diables d'australiens ce soir-là : Let there be rock...
Pour ma part, j'ai un souvenir ému de cette soirée exceptionnelle, car deux ans plus tard, j'étais aussi au concert avec celui que l'on surnommait « casquette hurlante ». On songeait qu’il était quasiment impossible de rivaliser avec Bon Scott. On pensait ce à quoi l’on se préparait à assister marquerait un tournant dans la vie du groupe. Les journaux de l’époque avaient beau nous vanter la nouvelle recrue et sa voix « chaude », nous ne demandions qu’à voir.
11 janvier 1981. Dans le stade municipal de La Trinité, commune de la périphérie niçoise, il faisait une chaleur infernale. La fumée commençait à envahir un plafond que nous trouvions bien bas. Soudain, les lumières se sont éteintes et une cloche a surgi de nulle part. Les premières notes de « Hells Bells » ont lancé le show et la magie a de nouveau opéré.
Musicalement, la baffe fut encore la même qu’en 1979. Peut-être que le groupe avait besoin de prouver qu'il n'était pas fini avec la disparition de son chanteur.
Après, ce fut une avalanche de décibels et j'en ai eu des sifflements pendant une semaine. Les morceaux se sont enchaînés avec la rigueur d'un métronome, rythmé par Malcolm très impressionnant. Ce mec attire le regard, sans que l'on sache pourquoi. Je l'avais déjà remarqué deux ans auparavant. Il frétille totalement dans sa joie de jouer et de marteler sa guitare. Sans jamais faire d'écart, ni musicalement, ni physiquement, j'ai eu le sentiment qu'il était le socle du groupe. Tout tient sur lui. Avec une telle assise, Angus peut être aérien. Et il l'est !
Le concert avec Bon était excellent, bien entendu. On ne compare pas une Rolls. J'ai toujours préféré sa voix limpide et puissante. A l'image de sa texture nasillarde, il sautillait comme un canard maladroit, cambré comme un danseur de flamenco. Avec le recul, je le trouvais quelque peu empêtré dans son jeu scénique. Pour faire bref, Bon, c'était une voix extraordinaire avec un jeu scénique moyen. Brian, c'est plutôt l'inverse, me semble-t-il.
Ce soir-là, un an à peine après l’amputation d’AC/DC, les membres du groupe étaient incontestablement à la hauteur. Angus fut pour moi un choc. Je me suis toujours demandé comment on pouvait jouer en dodelinant de la tête de la sorte. Ce type est malade ! Voilà l'explication. Il fascine parce qu'il développe une telle énergie que l'on est aspiré par sa frénésie de bouger. Je me rappelle qu’au moment où il a attaqué les accords de « Sin City », une vague venue de devant a balayé tout le public. Nous étions tous irrémédiablement animés d’une envie de danser. Il avait provoqué ça tout seul ! On avait le sentiment qu’Angus jouait sa peau à chaque note. Ensuite, « Back in black » et « Bad boy boogie » ont définitivement emportés les suffrages des plus sceptiques.
La voix de Brian demeurait très en deçà de celle de Bon Scott, mais j’ai senti ce jour-là qu’AC/DC allait devenir beaucoup plus professionnel. Avant, le groupe reposait sur un duo immensément talentueux lesté par une rythmique d’enfer. Désormais, le groupe devait resserrer les rangs. C’est au moment de « The Jack » que la nouvelle voix faisait regretter l’ancienne. Peut-être les guitares la couvraient-elles beaucoup moins ? Les nouveaux titres issus de « Back in black » ont soigneusement été disséminés parmi les classiques : « You shook me all night long » compressé entre Whole lotta Rosie » et « TNT » et « What de you do for your money honey » entre « Highway to hell » et « High voltage ». Heuseusement, AC/DC, ça n’était pas seulement Bon Scott. Même avec un Johnson peu aguerri encore, le concert reste gravé dans ma mémoire comme un souvenir inestimable. Je crois que le second m’a véritablement permis de prendre la pleine mesure d’AC/DC. Les deux shows sont un peu comme les revers d’une même médaille. Il faut bien un côté pile pour que face existe, tout comme il faut un Malcolm pour faire un Angus !
AC/DC est avant tout un son qui pénètre les entrailles et parle directement au coeur. Je crois que ce qui fait son succès, c'est que leur musique est d'une générosité incroyable. C'est de la puissance sans fioriture. Il n'y a qu'eux au monde pour jouer des trucs aussi simples et aussi efficaces. C'est une synthèse du rock'n'roll traditionnel et du monde moderne rapide, puissant, sans pitié. C'est une violence que l'on a l'impression, lorsqu'on l'écoute, de ressentir ailleurs dans notre vie, mais d'être en mesure de maîtriser grâce au groupe. Et ça, c'est particulièrement jouissif.
J'ai aujourd'hui deux fils, 8 et 14 ans, et ils adorent les disques que j'écoutais à l'époque. Je leur ai promis que si AC/DC repassait dans le coin bientôt, je les amènerai. Cette musique est atemporelle ! L'énergie à l'état pur.