Best : La présence d'un garde du corps auprès des membres
du groupe s'impose t'elle ?
Brian Johnson (Brian) : Il n'est pas vraiment là pour nous surveiller
nous. Avant chaque concert, c'est lui qui va voir les gens des services de sécurité
locaux et qui leur explique les consignes. Entre autre, celle qui dit que la
première qu'on voit tabasser un môme se fera jeter. Si on voit
de la scène un videur frapper un kid, on le montre à John. Et
celui-là il en fait son affaire.
Brian commande une assiette de cacahuète.
Brian Johnson : La bouffe française me manque, là cela va bientôt faire 3 mois que l'on tourne ici, on se tape toutes les grandes arènes du pays.
Tu aimes bien jouer dans ces arènes immenses ?
Brian : Celles des States oui, elles sont bien foutues. Où que
tu sois, tu arrives à voir. En Europe par contre elles craignent, le
plus souvent elles sont plates. Les kids ne voient rien. Au concert du Bourget
à Paris, je suis sûr que tous ceux qui étaient sur le côté
ne pouvaient rien capter de ce qui se passait sur scène. Ca devait bien
faire trois ou quatre mille personnes. Je pense que la moindre des choses dans
ces cas là serait que le ticket pour ces places là soit à
moitié prix.
Ça vous arrive encore de jouer dans des clubs ?
Brian : De temps en temps, la dernière fois qu'on l'a fait c'était
à Agora au Texas (1) , on a appelé le patron la veille pour le
prévenir qu'on allait jouer dans sa boîte. Mais jusqu'à
ce qu'on arrive, il a cru que c'était un bobard. C'était bien
fun.
Brian me demande comment vont la France et Trust en particulier.
Brian : J'aime bien Bernie, c'est un type honnête. Un gentleman. J'ai l'impression qu'il se bat vraiment pour qu'un groupe français soit reconnu sur la scène internationale.
Une différence entre le public US et celui du reste du monde ?
Brian : Non pas vraiment, c'est un peu la même chose partout où
l'on va. Disons qu'aux States, les mômes ont l'air d'avoir plus de fric.
En Europe, les gens viennent au concert à pied ou en bus pour la majorité.
Ici, ils ont la voiture de Papa avec les packs de bière à l'arrière.
Mais en dehors de cela, notre public se comporte un peu pareil dans tous les
coins.
Jamais eu peur de te faire descendre ? Jagger a raconté un jour
que s'il courrait autant sur scène c'est pour éviter qu'on puisse
le viser.
Brian : Je n'ai jamais entendu parler d'histoires de flingues à
nos concerts. De temps en temps, il y a bien un taré qui sort un couteau
mais… Enfin disons que c'est quand même au fond de ma tête qu'il
peut y avoir là, dans la foule, quelqu'un qui soit dérangé.
Cela dit je ne crois définitivement pas que je sois l'homme le plus important
du rock'n roll ! Il y a d'autres noms sur la liste avant moi. Ah !
Ah ! Ah ! Ce qui m'énerve, ce sont tous ces maniaques religieux.
Tous ceux qui viennent distribuer des tracts à l'entrée des concerts
pour expliquer aux kids que nous sommes un groupe dévoué au démon.
Pourquoi, à cause de vos chansons ? « Highway to
Hell » et tout ça ?
Brian : Non même pas, à cause du nom. Tiens-toi bien.
Pour eux AC/DC veut dire Anti Christ / Devil Children ou bien After Christ /
Devil Comes. Faut quand bien être baisé de la tête pour aller
chercher des trucs pareils. On a eu droit aussi à ceux qui découvrent
des phrases cachées en passant les disques à l'envers. Non mais
tu imagines un peu ? C'est physiquement impossible. Se mettre en studio
et se dire « Bon allons-y, essayons de trouver un truc qui joué
à l'envers va vouloir dire autre chose ». Ces mecs sont malades.
Il attrape le numéro de Best que j'ai apporté avec moi, avec Iron Maiden en couverture.
Brian : Regarde ça, ben eux ils ont moins de problèmes que nous Ah ! Ah ! C'est excellent ce truc, le cerveau plein de sang. On dirait un ballon de foot ! Et la hache Ah Ah !
Et ce changement de batteur ?
Brian : On était aux Bahamas. On venait de finir l'album quand
Phil nous a dit que c'était fini pour lui. Il pouvait plus continuer.
On l'a bien pris. C'est compréhensible, cela faisait neuf ans qu'il n'arrêtait
pas. Il en a eu marre. Il a une belle maison à Melbourne. Un yacht. Il
aime aller à la pêche. Il est plus heureux comme cela. Il n'y a
rien de traumatique dans cette histoire. Pour le remplacer, on a mis une annonce
dans les journaux musicaux anglais. « Cherche batteur rock ».
Sans préciser pour qui. Plein de gens sont venus. Certains déjà
connus. Mais Simon était de loin le meilleur, Et puis, il avait l'air
d'être un mec cool. Dans un groupe, cela compte au moins autant que les
capacités techniques.
Tu habites toujours Newcastle ?
Brian : Oui, mais je n'y ai pas mis les pieds depuis dix mois. J'ai pas
mal traîné à Hawaï. Ici à Miami aussi.
T'as pas une famille ?
Brian : Si, mais je ne les vois jamais.
Il reste pensif.
Brian : Peut être un jour je reviendrai. Tu sais être dans un groupe, c'est un peu comme être un joueur de foot. Tu fais du pognon pendant un moment et puis cela s ‘arrête d'un coup. C'est pour cela que je me suis acheté un studio à Newcastle. Cela me permettra de rester en contact avec le monde de la musique. Kajagoogoo, Richie Havens, les Animals, Lindisfarne, pas mal de gens a enregistré là. Il y a un bon gros son rock.
Arrivée d'Angus, qui commande un thé. Café pour Brian et moi.
Cela ne t'ennuie pas de traverser toutes ces villes sans avoir jamais rien
en voir ?
Angus : Tu sais, je n'ai pas vraiment une âme de touriste…
Point final sur la question. Je me rabats en catastrophe sur un terrain plus musical, après m'être rendu compte que pour la première fois avec le dernier album, ils se sont produits eux-mêmes.
Angus : Oui. Je pense qu'au bout de dix albums on a quand même réussi à comprendre comment fonctionnait un studio. De toute façon, on a toujours eu voix au chapitre en matière de production. Mutt Lange, notre producteur précédent, n'avait jamais travaillé avec un groupe de rock avant nous. On lui a appris des trucs qu'il ne connaissait pas.
Sans quelqu'un pour vous diriger, vous ne vous disputez pas en matière de choix ?
Angus : Si si, Hin ! Hin ! Mais c'est mieux. Je crois que toutes les critiques sont utiles. Si quelqu'un trouve que quelque chose ne va pas, c'est qu'il y a forcément une raison quelque part. Cela te permet de trouver quoi. Corriger ou au contraire de convaincre, que non, ton idée de départ était bien la bonne.
Pourquoi depuis « Highway to Hell », les photos du
groupe n'apparaissent plus sur les pochettes ?
Angus : Parce que nous ne sommes plus assez jeunes et beaux pour cela !
Ah ! Ah ! En réalité on n'est pas trop conscient de
ce genre de problèmes. Ce qui nous intéresse, c'est ce qu'il y
a sur le vinyle. Ce qu'il y a dans la pochette. Je crois malgré tout
que c'est la raison principale pour laquelle les gens achètent un disque.
Enfin j'espère !
Et vous sujets d'inspiration ?
Brian : J'écris des mots et des paroles quand cela me vient.
Il y en a quelque fois des pages et j'en tirerai peut être que deux lignes.
Cela peut venir de n'importe quoi. D'une conversation avec un chauffeur de taxi
ou d'une discussion avec un kid après un concert.
Angus : Sinon, s'il est vraiment à court, il va jusqu'aux chiottes les plus proches pour recopier les graffitis sur les murs. Ah ! Ah !
Je branche Angus sur sa première guitare.
Angus : C'était une petite acoustique que m'avait offerte ma mère. Je dormais carrément avec. Je l'ai cassé assez vite.
le jour où tu as voulu te prendre pour Pete Townshend ?
Angus : Non elle est bêtement tombée contre un mur. J'ai
toujours gardé les morceaux. Du coup, ma mère m'a dit qu'il fallait
que je continue à en jouer comme cela. Ah ! Ah ! Depuis je
n'arrête pas d'avoir des guitares qui s'écroulent !
Tu ne joues que sur Gibson SG, il y a une raison particulière ?
Angus : C'est celle que je préfère. Un jour, je suis
entré dans un magasin. J'ai essayé toutes celles qui me semblaient
bonnes et avec la SG ça été magique. En plus, j'ai de petites
mains, le manche est facile à jouer. C'est une guitare très délicate.
Ton frère est abonné aux Gretsch.
Angus : Oui, il aime bien les sons crades et méchants. Il a
commencé avec une Firebird. Il n'a jamais réussi à en trouver
une pareille. Comme moi, les SG que j'avais dans le temps étaient bien
meilleures que les nouvelles.
Tu joues avec des cordes à gros tirant ?
Angus : J'en ai des assez grosses pour les trois du haut. Les trois du
bas sont plus fines. Malcolm en revanche utilise de vrais railles de chemin
de fer. Ce n'est plus une gratte, c'est une scie. Ses médiators ne tiennent
pas trois morceaux.
Tu répètes beaucoup à la maison ?
Non, parce que je n'ai pas de maison Ah ! Ah ! Je joue au feeling,
je crois que c'est comme cela que c'est doit être fait. L'aspect technique
de la guitare m'emmerde.
Tu as pas de piaule ?
Angus : Pas de piaule permanente. En général, je choisis
un endroit et je loue quelque chose sur place. Cela explique pourquoi j'ai des
valises partout. Un de ces quatre, il va falloir que je me décide à
faire un inventaire de tous les trucs que j'ai laissés partout dans le
monde. J'ai des costumes d'écolier dans tous les coins, et des sacs de
linge sale. Ceux là je préfère ne pas savoir ce qu'ils
sont devenus Ah ! Ah !
T'écoutes pas mal de musique ?
Angus : J'écoute la radio, il y en a des bonnes ici. Si t'es
à Chicago dans le Sud, tu peux écouter de bonnes stations de blues.
Sinon, j'ai jamais eu vraiment une grosse collection de disques. Dans le temps
j'avais pas le temps d'en acheter, et aujourd'hui j'ai plus le temps.
Il n'y a pas un groupe que tu aimes en particulier ?
Angus : Non pas vraiment. Le dernier truc que j'ai entendu qui m'ait
bien éclaté c'est à Détroit l'autre jour. Une version
de « I'm a king bee » par Muddy Waters. Sinon, là
actuellement j'écoute une compilation que m'a faite ma sœur avec plein
de bon trucs : Carl perkins, Little Richard, Chuck Berry…
C'est en écoutant ce genre de musique que tu appris à jouer
de la guitare ?
Angus : En partie oui . Quoiqu'à l'époque je connaissais
surtout les versions de ces chansons par les groupes anglais du genre Stones,
Yarbirds… Mon grand frère avait une grosse collection de ce genre de
trucs. C'est plus tard que j'ai compris où tous ces groupes avaient piqué
ça. Ils étaient juste plus malins. Ils avaient eu les disques
avant les autres.
Cette influence du Blues ne me semble pas pourtant très évidente
chez AC/DC.
Angus : Disons qu'on essaie de garder le côté up tempo,
fun du blues. A la base, je crois qu'on est un groupe de rock'n roll. Je n'aime
pas les termes de heavy metal ou de hard rock. Je sais pas, j'ai l'impression
que si Jerry Lee Lewis ou Elmore James arrivaient aujourd'hui ils joueraient
la même musique que nous.
T'as des chansons favorites dans le répertoire d'AC/DC ?
Angus : Hum, « let there be rock ». j'aime bien
le feeling de ce morceau. Quand ça fait « Let there be rock »
et Trang Trang, la guitare qui rentre. C'est direct. « Back in Black »
parce qu'il y a quelque chose d'un peu soul dedans. « Highway to
hell », « TNT », il y en a plein. Je préfère
les chansons les plus directes.
Vous sentez vous en compétition avec tous les Iron Maiden, Def Leppard
et autres Judas Priest de ce monde ?
Angus : Non, comme je te l'ai dit je pense que nous sommes un groupe de
rock'n roll. Tous ces gens que tu as cités s'inspirent d'une autre tradition.
Leurs racines à eux c'est plutôt tout le trip Deep Purple, Led
Zeppelin etc...
Pas un peu marre des tournées incessantes depuis 10 ans ?
Angus : Non pas encore. Il est vraisemblable qu'à la fin de
celle ci je ne serai plus capable de tenir debout mais c'est toujours fun. J'ai
toujours le même plaisir à monter sur scène. Les voyages
par contre m'excitent moins. Le pire c'est le passage de douanes. Tu as traversé
quelque fois cinq ou six pays et tu as ces gros malins à l'arrivée
qui veulent savoir où, quand comment tu as eu toutes ces affaires que
tu transportes avec toi. Ou alors ils te fouillent des pieds à la tête
en espérant trouver assez de drogue pour les faire nommer chef.
Ca c'est la conséquence de votre réputation de groupe ne lésinant
pas sur les excès…
Angus : oui, mais c'est des conneries. Sex, drugs & Rock'n roll c'est
un cliché. Quand Bon est mort par exemple tout le monde a dit que c'était
par ce qu'il était alcoolo et tout ce trip. C'est des conneries. Evidemment
les gens qui voyaient Bon le voyaient dehors en boîte quand il sortait.
Et quand il sortait il aimait bien boire un coup comme tout le monde. Tout ces
gens ne le voyaient pas en dehors. Dans la vie de tous les jours.
Brian : De toute façon on n'a pas le temps pour tout cela. Et pour le sexe il en faut quand même un peu. Ah ! Ah !
Tu fais du sport pour pouvoir tenir ton rythme sur scène ?
Angus : Non je suis trop flemmard pour cela, le seul sport que j'arrive
à pratiquer c'est le sommeil.
Vos projets ?
Angus : Pfutt ! C'est loin tout cela. On va essayer de venir en
Europe à un moment ou un autre. Peut être au printemps.
Vous envisagez de sortir un album live ?
Angus : Non, pas pour l'instant du moins (2). Je pense que si on en
fait un, ce sera un disque de nouvelles chansons. Dans la mesure où nous
enregistrons déjà live en studio, je ne vois pas trop l'utilité
de doubler çà par un album en public (3) .
Et pour Noël puisque c'est la saison, qu'est ce que vous comptez faire ?
Angus : J'sais pas. J'espère me faire offrir de nouvelles fausses
dents ! Celles là ont fait leur temps !